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  MIKAËL HERVIAUX Journaliste, auteur et traducteur 

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LE GAZ BOLIVIEN : OBJET DE TOUTES LES CONVOITISES (29/11/2004) 
 
Face à une demande énergétique qui n’a de cesse d’augmenter, la Bolivie constitue un pôle de croissance extraordinaire pour les grandes compagnies gazières présentes en Amérique Latine. Le référendum du 17 juillet dernier a toutefois montré que le peuple bolivien ne comptait plus se laisser déposséder d’une manneaussi vitale. Dernier espoir de sortir le pays du marasme économique. 
 
Difficile d’estimer les réserves gazières de la Bolivie, petit pays andin enclavé de 8,5 millions d’habitants et l’un des plus pauvres du monde (114° sur 151 au classement de l’indicateur du développement humain du Programme des Nations Unies). Officiellement, celles-ci atteindraient les 54 trillions de pieds cubes (T .P .C), ce qui en fait le second gisement de gaz naturel en Amérique Latine derrière le Vénézuela. Pour autant, l’invention régulière de nouvelles réserves impose une remise à jour permanente de ces données. Le 8 octobre dernier par exemple, l’entreprise Total aurait découvert d’importants gisements dans la région de Chuquisaca (Sucre), qui porteraient ce potentiel à 150 T.P.C. Un député de l’A.D.N, Fernando Rodriguez, allant même jusqu’à déclarer à la chaîne de télévision PAT que les chiffres concernant les réserves actuelles pourraient être multipliés par dix… ! 
On comprend mieux dès lors la forte attractivité que représente le marché bolivien pour les compagnies transnationales (Repsol, Petrobras, British Gas, Total, …). Cela explique aussi pourquoi, sans doute, Shengli International a récemment conclu un accord d’1,5 milliards de dollars avec l’entreprise publique Yacimientos Petroliferos Fiscales Bolivianos (Y.P.F.B), devenant ainsi actionnaire à hauteur de 49 /100 .Un projet de loi est actuellement débattu au Parlement par la Commission du Développement Economique et sera approuvé en février prochain qui devrait redonner à YPFB (privatisée en 1996 par l’ancien président Sanchez de Lozada, exilé à Miami après " la guerre du gaz " d’octobre 2003 qui a fait plus de 80 morts) le pouvoir d’administrer au nom de l’Etat, au moins 50/100 es ressources actuelles obtenues par les compagnies pétrolières. Quoi qu’il en soit, et bien que l’entreprise bolivienne reste majoritaire (à 51/100 dans cet accord qui la lie au géant chinois), tout laisse à penser que ce dernier a parfaitement conscience de l’insondable richesse que recèle le sous-sol bolivien. Autrement dit, les chiffres officiels seraient bien en deçà de la réalité… Shengli interviendra donc dans tous les secteurs de la production (exploration, extraction, traitement, commercialisation…), apportant en outre à YPFB le capital qui lui manque actuellement pour investir.  
 
Des pays voisins dans l’urgence d’un approvisionnement en gaz  
 
Une chose est sûre : le gaz bolivien est l’objet de toutes les convoitises. Si l’on s’en tient aux besoins énergétiques régionaux, on s’aperçoit vite de sa haute valeur géopolitique et stratégique. Bien que le Brésil et l’Argentine n’en soient certes pas dépourvus, leurs réserves se révèlent insuffisantes face à une demande croissante. Qui plus est, l’Argentine a des engagements d’exportation avec le Chili et l’Uruguay. Et le vieux contentieux qui oppose la Bolivie (depuis la perte de sa façade maritime en 1879) au Chili, brouille davantage les cartes. Les Boliviens craignent en effet que le surplus de gaz vendu aux Argentins, soit dévié au profit de " l’ennemi " chilien. L’enjeu énergétique dans la région est donc considérable. Car contrôler le gaz bolivien reviendrait à contrôler le Cône Sud… !  
Au cœur de cette bataille qui fait rage, le gouvernement réformateur de Carlos Mesa tente de louvoyer pour éviter de se mettre à dos les compagnies étrangères et la société civile bolivienne. Impossible néanmoins d’échapper à cette collision d’intérêts. D’en sortir indemne. Le référendum du 17 juillet dernier avait clairement mis en lumière le désir de la population, traditionnellement spoliée par les puissances étrangères, de se réapproprier tous les hydrocarbures à la sortie des puits pour être la première à en bénéficier. Si une nationalisation totale semble toutefois écartée, le président Mesa a proposé début septembre de relever le niveau des " royalties " à hauteur de 54/100 au lieu des 18/100 qui avaient été arrêtés dans la Loi des Hydrocarbures 1689 mise en marche par Sanchez de Lozada en 1999 et devenue caduque depuis le référendum). Le 25 novembre dernier pourtant, Carlos Mesa, de passage au Brésil, s’est engagé auprès des entreprises pétrolières (dont Petrobras), à garantir leurs investissements à travers une loi " sensée, raisonnable et viable ".  
Bref, la position du président bolivien n’est pas exempte d’ambiguïté. Pressé notamment par le Movimiento Al Socialismo (MAS) du charismatique et très habile leader cocalero Evo Morales (qui lui apporte un appui critique et exigeant), et les transnationales qui menacent l’Etat de jugements internationaux s’il ne respecte pas les contrats souscrits, le président bolivien cherche à gagner du temps en ménageant la chèvre et le choux. Reste que la nouvelle loi sur les hydrocarbures qui se profile constitue déjà une victoire pour la société civile bolivienne qui va s’organisant (dans la douleur) depuis 2000, afin d’ébranler le modèle néo-libéral soutenu par le FMI et la Banque Mondiale. 
 
La fin du " Gonisme " 
 
La manifestation la plus évidente de ce pouvoir grandissant des organisations civiques et syndicales se résume dans l’enclenchement du processus d’extradition de l’ancien président Sanchez de Lozada, alias Goni. Celui-ci pourrait en effet être accusé de " génocide " après les massacres d’octobre 2003, si la Cour Suprême avalise cette demande. Inimaginable il y a encore quelques mois, la pression de la rue a été telle qu’à l’intérieur même de ses propres files (MNR), bon nombre d’anciens " gonistes " se sont désolidarisés de leur leader, tant son image est noircie par de sombres affaires de corruption. Pour autant, il est fort probable que " l’infréquentable " Goni trouve définitivement refuge aux Etats-Unis et continue de jouir, à l’image de l’ex- premier mandataire du Pérou Alberto Fujimori installé au Japon, d’une arrogante impunité.  
Quoi qu’il en soit, on note depuis quelques années, dans ce contexte de crise énergétique, l’émergence de forces politiques de gauche qui cherchent à échapper au modèle néo-libéral pour répondre à l’appel de la rue. Dernier exemple en date : la victoire historique en Uruguay du Frente Amplio emmené par Tabaré Vazquez, qui fait écho au profond mécontentement d’une population farouchement opposée à la privatisation de l’eau. Même s’il faut apporter de solides nuances entre les politiques économiques conduites par Chavez (Vénézuela), Kirchner (Argentine), Lagos (Chili) ou Lula (Brésil), on sent une volonté de la part des pays du Cône Sud de resserrer leurs liens. La signature le 9 décembre dernier à Cuzco (Pérou) d’une Union Sud-Américaine des Nations est peut-être la première manifestation d’une nouvelle prise de conscience : celle d’un héritage commun et du droit inaliénable à profiter de manière privilégiée de ses propres ressources naturelles.
 
 
 

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Modifié en dernier lieu le 22.04.2005
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