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Critiques
Francis Scott Fitzgerald : TENDRE EST LA NUIT
Un univers de faux-semblants, factice comme un décor hollywoodien, des sourires à crans d'arrêt, de belles petites gueules américaines découpées sur fond d'azur...
Tendre est la nuit de F. Scott Fitzgerald n'a rien de très ragoûtant de prime abord. Ses personnages en toc dégoulinent de fatuité et d'hypocrisie crasse, et les suivre dans leurs vaines conjectures tient véritablement du supplice. Une piètre compagnie en somme, qui mériterait bien qu'on la mette au rencard, s'il n'y avait ce talent de Francis Scott Fitzgerald pour suggérer le mystère derrière le carton-pâte, la part d'ombre sous le soleil trompeur de la Riviera...
On les suit donc à la trace entre Paris, Deauville et la Méditerranée, en espérant sagement que se lézarde leur carapace pour voir enfin ce qu'ils ont dans le ventre : Dick Diver, médecin psychiatre au charme ravageur, sa richissime épouse Nicole à la beauté sombre et troublante, Rosemary Hoyt, petite starlette en herbe du cinéma US, débarquée sur la Côte d'Azur avec son Pygmalion de mère, Abe North, musicien "tragique" imbibé d'alcool, Tommy Barban... etc.
Pourtant, si ces individus un brin tartufes nous semblent indigestes, c'est parce que nous les contemplons à travers le regard à peine aiguisé de Rosemary. Un regard qui glisse sur ce petit monde sans jamais le pénétrer.
C'est aussi, pour Fitzgerald, l'occasion de brosser le tableau d'une lost generation américaine qui, dans les années 20, voulait jeter sa gourme et brûler la vie.
Dans ce roman en triptyque, les deux personnages principaux (le couple Diver) se dessinent lentement sous la plume de l'auteur. En prenant des angles de vue distincts, F. Scott Fitzgerald parvient en effet à cerner les fragiles contours de leurs personnalités pour dresser d'eux, en fin de course, un portrait psychologique d'une
très rare acuité. Si la première partie ébauche un monde frivole, une dolce vita agaçante, quelques indices préfigurent déjà un envers du décor nettement plus funeste et sordide :l'idylle de Dick et Rosemary, l'incident mystérieux à la Villa Diana, l'admiration passionnée que Tommy voue à Nicole...
Un premier volet bouclé, comme un claquement de porte, par la découverte d'un macchabée sur le lit de Rosemary !
La seconde partie nous renvoie dix ans en arrière. La façade des Diver s'effondre alors. Nous plongeons sous ce bonheur facile, étal en apparence, et remontons le cours de leur histoire comme des scaphandriers. Oubliés le soleil de la Riviera, les pince-fesses mondains, les sourires en coin... ! Le coup de projecteur lancé par
Fitzgerald révèle une relation amoureuse autrement plus glauque, construite sur fond d'inceste, de schizophrénie et de fric... Inutile de déflorer plus encore l'intrigue
de ce récit aux fortes résonances autobiographiques !
Malgré une gestation de neuf années, Tendre est la nuit est un roman, lumineux et complexe, à inscrire au panthéon de la littérature du XXe siècle. Comme dans Gatsby Le Magnifique, F.Scott Fitzgerald parvient à mêler le clinquant et l'intime, le futile et l'universel, la rédemption et la perdition, dans un style à la fois enlevé et précis. Ses personnages, comme des plâtres, se fissurent, laissant deviner une profondeur que trahissait jusque-là un désir de paraître. Rarement les relations humaines ont été aussi bien dépeintes, autant dans leur superficialité que dans leur infinie vérité.
Ne lire que les dernières pages, qui sont parmi les plus belles de la littérature, pourraient suffire amplement à notre bonheur. Mais ce serait là nous priver de ce qui n'est rien d'autre qu'un chef-d'oeuvre !
M.H
Francis Scott Fitzgerald, Tendre est la nuit (traduit par Jacques Tournier), Edition Belfond, 1985, 1ère version intégrale en frs
414 p. - 6,10 €. Lelitteraire.com
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