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  MIKAËL HERVIAUX Journaliste, auteur et traducteur 

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Rencontres

Rencontres durant l'été 2006 
 
1 -G-E Clancier 
2 -Pierre Bergounioux 
3 -Alain Lercher 
 
 
GEORGES-EMMANUEL CLANCIER : "une poésie de la célébration" 
 
 
Des livres. Partout. Du sol jusqu'au plafond. L'appartement parisien de Georges-Emmanuel Clancier semble un refuge, une terre d'accueil, pour les "éclats de vie" consignés de milliers de poètes, romanciers ou philosophes. 
Cathie Charron, la jeune bergère illettrée du Pain Noir, aurait sans doute blêmi devant cette "monstrueuse" collection, effrayée peut-être par ce lieu où bruissent encore, dans l'ombre incertaine, les voix de ces hommes qui se sont tus. Nombre d'entre eux d'ailleurs furent des compagnons de doute et de résistance : Queneau, Max-Pol Fouchet, Eluard…Du temps où la parole libre rasait les murs.  
À cette époque, G-E Clancier était convaincu déjà que "la valeur poétique donnait un sens à la vie. Je collaborais alors à la revue Fontaine que dirigeait depuis Alger Max-Pol Fouchet. J'étais également chargé de transmettre des textes d'écrivains de la résistance (Leyris, Pierre-Emmanuel, Queneau etc) que je postais sottement à Limoges, voire même à Guéret, la patrie du très antisémite Marcel Jouhandeau". La liberté était à ce prix, même s'il est probable que le jeune Clancier n'ait pas véritablement perçu le danger qu'il encourait.  
"Ma génération poétique, née avec la Grande Guerre, a découvert la poésie en même temps que la montée du nazisme en Allemagne et du fascisme en Italie ou en Espagne". Pas étonnant donc qu'elle soit empreinte en creux de cette barbarie fondamentale qu'elle dénonce.  
Témoin attentif et sensible d'un siècle d'horreurs et de profondes mutations (Dernière heure), G-E Clancier révèle également, dans son œuvre poétique (Terre de mémoire, Le Paysan céleste) et romanesque, un attachement sincère à sa région natale du Limousin, qui se confond avec cette région bénie de l'existence : celle de l'enfance.  
De ce monde révolu, intimement lié à la mémoire des plus humbles, est né à partir du milieu des années 50 un ensemble romanesque hors mode qui fera la renommée de son auteur : Le Pain Noir : "Je devais écrire sur ma grand-mère, car j'avais pris soudainement conscience que cette femme que je vénérais tant, cette femme à qui j'avais appris à lire, bientôt ne serait plus". Et avec elle, tout un monde, bientôt livré à la nuit sombre… 
En le réinventant à travers le regard "aimant" de Cathie, il a surtout réussi à arracher d'une réalité humaine circonscrite (la vie des paysans et des "partageux" ouvriers du Limousin), une vérité universelle sur la condition des Hommes.  
Armé du seul sentiment poétique et de son pouvoir de transfiguration, G-E Clancier a traversé le siècle en consacrant son œuvre tout entière à la célébration de la vie, dans un monde pourtant désenchanté. Car toujours, il y a aura pour cet humaniste une aube nouvelle, belle comme une promesse… 
 
 
Georges-Emmanuel Clancier est né en 1914 à Limoges  
 
 
 
 
PIERRE BERGOUNIOUX : "la part d'inventaire" 
 
 
Pierre Bergounioux est un écrivain "hors-sol", déraciné, arraché par la force des choses à sa Corrèze natale au sortir de l'adolescence. C'était il y a quarante ans environ. L'histoire - il l'ignorait alors - était écrite sous ses pas d'enfant, à cet âge insouciant où la vie ne dure qu'un instant, toujours le même.  
Elle était déjà là, gravée dans les terres incultes et enclavées du Plateau de Millevaches que des lignées de paysans avant lui, s'étaient escrimées en vain à dompter, le dos voûté et les yeux rivés au sol pour ne pas regarder "ailleurs". Horizon mortifère. 
"J'appartiens à cette génération qui a dû sortir des enclaves du vieil âge pour la grande ville. La dépossession culturelle dont nous étions frappés nous obligeait en effet à partir".  
Pierre Bergounioux est aujourd'hui un homme de 57 ans, vivant à flanc de coteau dans une paisible bourgade de la banlieue parisienne. Les cheveux poivre et sel, le visage osseux, il a conservé la sérénité granitique de ses ancêtres. Un legs parmi d'autres, pour celui qui s'échine depuis tant d'années à comprendre d'où il vient et qui il est. À réinventer le territoire de son enfance. "C'est parce que l'essentiel de notre vie nous échappe que j'essaie d'exhumer toutes ces choses qui sont ensevelies dans une pénombre redoutable".  
Considérée à juste titre comme l'une des plus passionnantes de notre époque, l'œuvre romanesque et autobiographique de Pierre Bergounioux se nourrit exclusivement de ce "grand passé" qui le hante. L'arbre sur la rivière, La Toussaint, Miette…Ces romans, d'une délicate froideur, cherchent tous en effet à démêler l'écheveau de sa vie, de ses origines, en évitant toujours l'écueil de la nostalgie. Tous tentent de jeter, tel un Caravage, quelque clarté sur ce "temps perdu", obscur, où les hommes vivaient dans un univers immobile et âpre, confinés dans une ignorance séculaire.  
Jeune, il s'étonnait "de ne pas retrouver le reflet de ce monde qui lui était si familier". Les grandes bibliothèques, oublieuses des plus humbles, ne l'ont toutefois pas dissuadé de lire et d'apprendre "pour tous ceux qui m'ont devancé et n'en ont pas eu la possibilité": Faulkner, Joyce, Proust…mais aussi des livres d'économie, de sociologie etc. 
Aujourd'hui, lorsqu'il parle, les mots avancent en rang serré et au pas cadencé comme une armée savante. On devine alors que dans son univers, vaste, bigarré et décloisonné, seuls comptent la connaissance de soi et des autres. La vérité. Grâce à lui, les oubliés de de sa propre histoire (et finalement, de l'Histoire !) remuent de nouveau les terres du plateau de Millevaches. Et tout le reste est littérature…! 
 
 
Pierre Bergounioux est né en 1949 à Brives-La-Gaillarde. 
 
 
 
ALAIN LERCHER : L'écriture, cette délivrance 
 
 
Il faut se méfier des apparences. La peau tendue d'une mer étale ne dit rien de la tempête, passée ou à venir, pas plus qu'elle ne révèle les histoires muettes et troubles qui grenouillent au fond de son ventre abyssal.  
Alain Lercher ressemble à ces eaux calmes et rassurantes. Affable, le regard légèrement plissé et la moue rieuse, il vous tient à aimable distance, ne laissant presque rien entrevoir des remous qui le traversent.  
Il arrive pourtant que ce haut fonctionnaire jette l'encre à ses heures gagnées. Et c'est là véritablement que sa sensibilité affleure. Là, sur la page noircie, que les colères, les doutes ou les certitudes qui sourdaient en lui terminent leur course. Leur lente gestation. Ecce Homo !  
Poète, essayiste, romancier… l'homme est tout cela à la fois. Ou en partie, seulement. 
"Je ne suis pas qu'écrivain ! Etant avant tout juriste, je passe en effet de longues périodes sans écrire" souligne-t-il comme s'il craignait d'être enfermé dans l'étau d'une définition. 
L'enfermement, justement…Ce recours aux mots, à la pensée en marche, ne peut être chez lui qu'une tentative d'affranchissement. Et l'écriture, une délivrance. Qu'il dise le bonheur et la difficulté d'être des hommes embastillés dans la Prison du Temps ou qu'il ressuscite les Fantômes d'Oradour et leur ombre macabre, c'est toujours de "savoir" dont il est question. De la connaissance et de la mémoire, donc. Pour le meilleur et pour le pire.  
"Lorsque j'étais enfant, ma grand-mère me racontait la tragédie d'Oradour - avant de préciser - J'ai mon arrière grand-mère et un oncle qui ont péri là-bas". Que reste-t-il aujourd'hui de ces ruines ? La trace tangible de la barbarie humaine nimbée de silence et d'effroi.  
Alain Lercher sait aussi le sort des Alsaciens enrôlés de force dans l'armée allemande. Mais il refuse l'idée du bourreau "malgré soi". De pardonner l'impardonnable "Nous vivrons toujours sans comprendre si ce monde était bien pour nous"(poème Etape-éclat).  
Assurément, celui des corps torturés ou calcinés n'est ni pour lui ni pour personne. Reste pourtant l'éveil à la sensualité et le souvenir de ce corps adolescent, noyé de caresses et enfin débarrassé de l'enveloppe du pêché, qui s'abîme dans le plaisir…Et tous ces trésors de la pensée humaine lorsqu'elle devient créatrice (la peinture, la poésie, celle de Jacottet ou de Villon etc.).  
Résolument ancré à gauche, Alain Lercher a sans doute perdu quelques illusions en route. Pourtant, son "œuvre" (il récuserait ce terme) témoigne, dans son éclatement même, du désir d'explorer toutes les richesses du monde et de saisir l'homme dans sa complexité. De saisir l'humain surtout. Malgré les morsures du temps. Et en dépit parfois des apparences !,  
 
Alain Lercher est né en 1948 en Allemagne 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Modifié en dernier lieu le 20.10.2007
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