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entretiens et critiques
1-Interview de Carolyn Carlson
2-Neverland de Nasser Martin-Gousset
1-INTERVIEW/ Carolyn Carlson (26-09-03)
Writings on water
"Mon approche est zen"
Carolyn Carlson est une figure incontournable de la danse contemporaine. Avec plus de soixante-dix créations chorégraphiques à son actif, cette artiste a bouleversé le monde de la danse, notamment grâce à ses improvisations. Il existe donc un "avant" et un "après" Carlson. Une véritable révolution!
Mikael Herviaux: Comment appréhendez-vous votre retour en France après ces quatre années en terres italiennes?
Carolyn Carlson: Certes, je suis restée plusieurs années en Italie, où j'ai été directrice artistique de la Biennale de Venise. Pour autant, je n'ai cessé de faire des allers et retours en France, sans oublier la tournée que j'ai effectuée ici en 2002. Et puis, Paris, c'est un peu chez moi.
M.H: Votre nouvelle création Writings on water semble s'apparenter à une écriture du geste. Pouvait s'intituler par exemple Steps on water?
C.C: J'ai surtout voulu signifier que la vie était éphémère. Tout finit par disparaître. La vie coule et s'en va inexorablement. J'ai donc utilisé cette symbolique de l'eau pour exprimer tout cela
M.H: Existe-t-il pour vous cette même fusion entre la musique, la danse et la poésie, qu'entre l'homme et les éléments?
C.C: Je crois effectivement en cette fusion de l'homme avec le monde. Dans chaque pièce que j'ai créée, j'ai cherché à rendre l'idée de ce mouvement perpétuel et très pur.
M.H: En vous produisant toujours en solo, vous donnez l'impression d'avoir une approche très romantique de votre art…
C.C: De toute évidence, l'homme se retrouve toujours seul face au monde. Seulement, mon approche est plus philosophique que romantique. Elle est zen!
M.H: Les évènements dans le monde ont-ils une véritable incidence sur votre travail?
C.C: Comment pourrait-il en être autrement…? Il y a dans Writings on water, comme dans toutes les autres pièces, cette réfléxion sur la pureté, sur l'harmonie et la fluidité.
M.H: Ce qui marque votre travail est la recherche permanente du mouvement…
C.C: Cette recherche va en effet dans le sens de la vie. Et mon approche est foncièrement optimiste. Je ne lutte pas, au travers de la danse, contre la mort, puisqu'elle est inéluctable. Seulement, il est vrai que je vais contre toutes ces formes de morts minuscules qui sont le fruit de l'immobilisme.
2-NEVERLAND de Nasser Martin-Gousset
(JDC-16-03-2003)
"O-RAGEUSEMENT KITSCH"
Mélange de kitsch et de passions brutales dans Neverland, une chorégraphie de Nasser Martin-Gousset. Une véritable délectation!
Remake chorégraphique des Hauts de Hurlevent, le roman d’Emily Brontë, la pièce de Nasser Martin-Gousset est un petit bijou de romantisme o-rageusement kitsch. Version à la fois fidèle et teintée d’une ironie que seule la distanciation permet, Neverland est le théâtre des passions les plus débridées qui tambourinent au fond de chacun des protagonistes-danseurs.
Elle nous montre ces amours contrariées et incendiaires qui volent à tire-cœur mais qui sont vite arrêtées dans leur trajectoire par les limites du corps. Des passions embastillées qui tournent comme des lions en cage, au milieu d’une sorte de piste ronde avec des barreaux semblables à ceux d’une prison. Des passions captées sur l’instant et reflétées sur grand écran.
Danse, théâtre, musique et image-vidéo
Histoire terriblement romantique et romanesque de Heathcliff (Nasser Martin-Gousset) qui, ne pouvant assouvir son amour pour Cathy, sa demi-sœur, tentera de se venger en humiliant la sœur d’Edgar, son rival amoureux.
L’astucieuse association de la danse, du théâtre, de l’image-vidéo et de la musique, confère une plus grande lisibilité à un ensemble volontairement morcelé, symbole de tous les déchirements.
Nos regards courent pêle-mêle sur les interprètes et sur l’écran géant qui relaie leur image, dans un va-et-vient compulsif. Reflet parfois altéré, comme cette danse à deux qui semble la vision hallucinée d’un
ballet de fantômes poussiéreux. Reflet idéalisé encore, où des
visages apparaissent sur fond de paysage romantique. Enfin, reflet
surréaliste lorsque, gravitant autour de l’espace clos en gravissant
les échelons de l’enceinte, le danseur est pareil à ces hamsters dans leur cage.
Ballet obsessionnel
Quant à la danse, le plus souvent des duos, elle est ramassée et nerveuse. Etreinte fiévreuse et charnelle, cet incoercible bégaiement chorégraphique est un autre reflet : celui de la folie qu’engendrent les passions les plus tumultueuses.
Neverland est un huis clos mettant en scène toutes les contradictions de l’amour et la mystérieuse attraction des corps. Un “je t’aime, moi non plus” chorégraphique, qui nous plonge dans l’univers anglais du XIXe siècle. Une approche fondamentalement dichotomique, avec ses clairs-obscurs et ses images saturées, avec cette sorte d’arène (théâtre de la rencontre des corps) et les coulisses, ses passions dévorantes et ses passions dévorées, la musique romantique et la pop music, etc.
Témoin, ce long et lent travelling sur une nature sauvage, poncif visuel (sciemment adopté) d’un romantisme falot, qui contraste avec le délirant dénouement de la pièce où des jouets super-héros sont vulgairement manipulés et placés en surimpression sur l’écran, alors
que l’on entend Kate Bush qui entonne son célèbre Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent). Voilà, la boucle est bouclée. Nasser Martin-Gousset vient de nous éclabousser de tout son talent !
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